El Memorioso emprunte son nom à Ireneo Funes, personnage d’une nouvelle de Borges, incapable d’oublier la moindre chose, jusqu’à la moindre sensation, jusqu’à chaque forme de chaque nuage qu’il aurait rêvé.J’ai à moi seul plus de souvenirs que n’en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde… Le groupe met la mémoire au centre du processus d’improvisation. Improviser une pièce, puis la rejouer, plusieurs fois. La différence entre les versions est infime. Les variations ne sont dues qu’aux aléas de nos propres mémoires – qu’est-ce qui demeure, qu’est-ce qu’on oublie, quelle perception du temps… Version après version, à la manière d’une succession de calques troubles, la mémoire se stratifie et se solidifie pour laisser apparaître les gros traits d’un souvenir de référence de la pièce initiale, reconstitué à tâtons. Un processus comme celui-ci implique une concentration et une construction particulières autour de l’événement sonore, son apparition, son impact sur la matière déjà présente, sa durée, sa mutation et éventuellement sa disparition, à même de déclencher de nouvelles réactions au sein du groupe.
Le projet se développe aussi avec d’autres ramifications qui éclairent une réflexion sur le temps, la mémoire et l’objet. Une série de 5 photographies a été réalisée par Vasil Tasevski avec la variation comme source d’inspiration. Elles sont accolées au cinq versions musicales. Elles sont aussi accompagnés par les textes d’Antonin Tri Hoang et Robin Mercier qui décrivent et poétisent le processus de création. Textes et photographies se rejoignent dans une pochette-objet réalisée par Anatole Wiener sur les presses aux plombs du Sinophore à Saint Denis. Fabriquées en 100 exemplaires à partir d’un procédé manuel jouant sur les variations d’encrage par la dépose directe d’encre sur la presse, 100 objets différent et unique sont obtenus. Enfin le projet se prolongera par la sortie en numérique tout au long de l’année, de quatre autres séries d’improvisations.
El Memorioso borrows its name to Ireneo Funes, a character from a short story by Borges, unable to forget the least thing, the least sensation, since each shape of any cloud he had dreamed.
« Me alone, I have more memorys than all the others humans have, since the world is the world… »
The Band places memory at the center of the improvisation’s process.To improvise a piece,than to play it again, several times.The difference between the versions is tiny. Those small variations are made by the hazards of our memory – Wath remains ? Wath we forget ? Wich is our perception of time ?… Version after version, like sequences of dim layers, the memory stratifies and solidifies and lets appear summarily a basic memory of the first piece. A process like this one neads a strong concentration and a particuler construction around sound event, its emergence, its consequences on material, its duration and its disappearance. All of that can impact the in progress process.
The first album of this project, « Cinq formes du temps » (Five shape of time), released in November 2019 is the heart of a important project rounded by other ways of expression illuminating a reflection about time, memory and item. A set of five photographys by Vasil Tasevski, play around the idea of memory and variation. They are enclosed to the five musical pieces. Jointed also to that, the texts by Antonin Tri Hoang and Robin Mercier wich are describing and changing in poetry the creation’s process. An item jacket realized by Anatole Wiener gathes the both photographies and texts. It was made in the lead printing housse Sinophore in Saint Denis. One hundred copy were made by a manual process by putting directly ink on the printing press. At last the project will continue with the numerical released of four improvisation’s set.
Julien Pontvianne : Saxophone
Nicolas Souchal – Trumpet
Julien Pontvianne – Tenor Saxophon
Xavier Camarasa – piano
Alexis Coutureau – Double bass
Julien Chamla – Drums
Recording Mixing Mastering Richard Comte
Artwork : Anatole Wiener
Photographies Vasil Tasevski
Texts Antonin Tri Hoang, Robin Mercier
This project is co produced with Musique en Friche and supported by the SCPP
Texte de Robin Mercier :
du tout,
on ne sait rien,
ou alors rien que d’infime
rien que d’infiniment proche de soi, et encore,
rien n’est moins sûr
d’un Tout,
on peut douter
ou chevaucher gaiement l’absence et goûter en toute incroyance,
à plein,
à l’illusion du vide
de tout,
on peut douter aussi
ne plus croire en rien
naviguer à vue dans l’infini des atomes,
malgré soi,
malgré les vestiges
des touts, là
par contre
ouverts
signes multiples,
traces singulières de tous les possibles,
on peut convoquer la présence,
pour soi,
et l’infini des atomes,
et jouer des formes,
des langues,
des sons
Texte de Antonin Tri Hoang
30 octobre
Lentement, en espagnol et en latin, il m’énuméra tous les cas de mémoire extraordinaire consignés dans le Naturalis Historia de Pline. Cyrus, le roi perse qui pouvait appeler chacun de ses soldats par son prénom. Mithrandis Epaldor qui s’exprimait dans les 22 langues de son empire, Ovide, qui inventa la mnémotechnie, Métrodore, qui développa l’art de répéter des phrases entendues une seule fois. Pour lui, ces exemples n’avaient rien d’extraordinaire. Il avait été jusqu’à ses dix-neuf ans, disait-il, un aveugle, un sourd, un ercevelé, un oublieux (je lui rappelais le double talent qu’il avait de connaître à tout moment l’heure exacte, et le nom complet de toutes les personnes qu’il avait croisées, mais il ne m’écouta pas). Il se souvenait avoir sombré dans un profond coma après avoir été renversé par un cheval pie, et que son réveil avait ouvert pour lui une existence nouvelle. Il estima (il sentit) que son infirmité n’avait pas eu d’importance pour lui, pour la nouvelle faculté qu’il avait acquise elle était un prix dérisoire.
30 octobre
Irénée m’émunéra, en espagnol et en latin, différents cas de mémoire peu commune cités dans Historia Naturalis de Pline : Cyrus, un roi perse capable d’appeler chaque soldat de son armée par son prénom, Mithrandus Pélonée, qui pouvait s’exprimer dans les 22 langues de son empire, Ovide, inventeur de la mnémotechnique ou Metrodore, qui développa l’art de répéter exactement ce qui vient d’être dit. Mais tous ces exemples étaient très ordinaires pour lui. Il me raconta comment, après ce jour pluvieux où un cheval pie le renversa, toutes les choses qui lui arrivaient depuis étaient gravées profondément dans sa mémoire avec une netteté insupportable. Pendant les dix-neuf premières années de son existence, il avait été sourd, aveugle, oublieux et ercervelé (je tentais en vain de lui rappeler qu’il était tout de même capable de savoir l’heure exacte à tout moment et de se rappeler du nom de tout ceux qu’il avait croisé). Son infirmité ne lui procurait aucune peine, il prétendit (sentit) que ce nouveau talent en valait largement le prix.
31 octobre
Irénée m’énuméra différents cas de mémoire exceptionnelle citées par Pline dans Historia Naturalis : celle de Cyrus, roi perse capable d’appeler chacun de ses soldats par son prénom, celle de Mythrandius Epaula, empereur qui parlait les 22 langues de son pays, l’invention de la mnémotechnie par Ovide, l’art de répéter ce qu’on a entendu de Métrodore. Tout ceci n’impressionait guère Irénée, tant la mémoire qu’il avait acquise après son accident de cheval survenu un jour de pluie, était absolue, infaillible. Depuis son réveil du coma, à 19 ans, son existence avait changé du tout au tout, si bien que son infirmité ne comptait presque pas.
Avant cet accident, me dit-il; j’étais sourd, aveugle, ercevelé et oublieux » (j’essayais de lui rappeler combien étaient impressionants ses facultés de dire à n’importe quel moment l’heure exacte ou de se souvenir du nom de chacune des personnes qu’il avait rencontrées, mais il ne m’écouta pas.)
2 septembre
Funes me parla de personnages à la mémoire fabuleuse tirés de Historia Naturalis de Pline : Cyrus, le roi perse qui connaissait les noms de chacun de ses soldats, Mythrandis Epaula qui parlait les 22 langues de son empire, Ovide qui inventa la mnémothechnique, Métrodore qui développa l’art de répéter exactement ce qu’on entend. Pour Funes, tout ceci n’était rien, sa mémoire à lui était d’un tout autre ordre : parfaite, exhaustive, chirurgicale. Mais il n’en avait pas toujours été ainsi, le cheval pie qui l’avait percuté à 19 ans avait changé sa vie et sa mémoire pour toujours. Avant l’accident, me dit-il, il avait été aveugle, sourd, ercevelé, oublieux (j’avais beau lui rappelé sa faculté de toujours savoir l’heure exacte et les noms de chacun, il n’en démordait pas). Depuis l’accident, il était invalide et immobilisé, mais d’une agilité sans égale dans son esprit et ses souvenirs.
3 septembre
Funes m’énuméra alors toute une série de personnages historiques cités par Pline : Cyrus, roi perse capable d’appeler toute son armée par son prénom, Mithrandis Poula, qui parlait les 22 langues de son empire, Ovide, qui inventa la mnémothechnie ou Métrodore qui développa l’art de se souvenir de ce qu’on écrit. Pour Irénée tout ceci n’était rien comparé à sa phénoménale mémoire, acquise lors d’un accident de cheval un jour de pluie. Il jugeait durement sa vie précédente, avant l’accident, avant ses 19 ans « J’étais sourd, aveugle, oublieux, écervelé ! » . Je lui rappelai son aptitude de pouvoir dire l’heure exacte à la demande ou de connaître les prénoms des gens qu’il rencontrait, mais il n’y accorda pas d’importance. Selon lui, sa mémoire actuelle dépassait tout, et son infirmité avait été le prix à payer.
4 septembre
Et c’était parti pour tout une suite de références issues du livre de Pline : Cyrus qui connaissait tous les noms de ses soldats, Mythrandil Upsala qui parlait toutes les langues de son royaume, Ovide inventeur de la mémothechnie ou encore Métrodore capable de répéter tout ce qu’il entendait. Mais tout cela n’impressionnait guère Irénée, sa mémoire à lui n’avait rien de comparable, elle était, disait-il, aussi précise qu’une expérience instantanée. L’accident de cheval qu’il avait subi à 19 ans et l’infirmité qui s’en était suivi ne l’affectaient plus, sa mémoire avait rempli toute sa vie qui était auparavant bien vide. « Avant j’étais valide mais sourd, aveugle, oublieux et ecervelé. Maintenant je suis handicapé et sur-puissant ». En vain je lui rappelais les dons exceptionnels qu’il avait déjà : savoir l’heure exacte à n’importe quel moment, retenir les prénoms de tous ceux qu’il rencontrait.
8 septembre
Irénée me parla de personnages cités par Pline dans Hisnoria Naturalis : Cyrus, qui connaissat tous les noms de ses soldats, Mithrandor qui parlait toutes les langues de son empire, Ovide qui développa la mnémotechnie et Métrodore qui retenait tout ce qu’il entendait. Pour lui tout ceci n’était rien comparé à sa mémoire exhaustive. Avant un accident de cheval à l’âge de 19 ans, il disait avoir eu une mémoire médiocre (alors qu’en fait il était déjà capable de savoir l’heure exacte à n’importe quel moment et retenait les prénoms de chacun). Maintenant il était invalide mais ce déplaçait dans le temps et l’espace à loisir.
9 septembre
Cyrus, qui appelait toute son armée par son prénom, Mythrandil, qui parlait toutes les langues de son empire, Ovide, qui inventa la mnémotechnie, Métrodore qui retenait tout ce qu’il entendait… tout ces exemples de mémoire hors norme, cités par Pline, n’impressionnait en rien Irénée, dont la mémoire surpassait tout ce dont on pouvait se souvenir. Tout ce qui lui arrivait se gravait en lui pour l’éternité, une collection phénoménale emmagasiné depuis ses dix-neuf ans, depuis qu’un cheval pie l’avait renversé. Il considérait sa vie d’avant comme celle d’un aveugle, d’un sourd, d’un oublieux, d’un ercervelé. C’était oublier son talent étrange de savoir l’heure exacte à n’importe quel moment, et de retenir immédiatement les noms de tout le monde.
12 septembre
Irénée me parla de ces personnages grecs ou perses dont la mémoire était réputée fameuse : Cyrus qui connaissait les noms de chacun de ses soldats, Mythrandis Epulon qui parlait les 22 langues de son empire, Ovide qui inventa la mnémotechnie et Métrodore qui mémorisait tout ce qu’il entendait. Tout ceci n’était rien pour lui, sa mémoire à lui était une bibliothèque aux rayonnages inifinis, il n’y avait pas une chose qu’il retenait plus qu’une autre, tout était parfaitement et également mémorisé dès qu’il en avait l’expérience. Cette mémoire exhaustive, il la déroulait depuis l’âge de 19 ans, le jour où il fut renversé par un cheval pie. Ce jour-là il perdit l’usage de ses jambes, mais gagna un instrument infaillible. « Avant j’étais cet être oublieux, sourd, aveugle, ercervelé. » , c’était oublier son don précoce pour connaître l’heure exacte à n’importe quel moment et pour se souvenir du nom de chacun.